Laïcité : mise au point rentrée 2023
Laïcité : l’enlisement communautaire du pluralisme scolaire
vendredi 17 février 2017 par Eddy Khaldi
auteur de « ABC de la laïcité » et « ABC de la laïcité pour les jeunes » (Ed. Demopolis)
Faut-il s’interdire de poser la question du pluralisme scolaire financé par la puissance publique et se résigner ainsi à ne plus aborder et ses conséquences sur le démantèlement de l’Education nationale et la laïcité de l’Etat ?
Exclure, aujourd’hui, le pluralisme scolaire de la laïcité est un piège pour l’Ecole, pour la République et les institutions de la République.
Il y a comme une incohérence à prétendre défendre les principes de la loi de séparation en faisant silence sur le pluralisme scolaire. Et, il y a cohérence entre la promotion, dès 1986, de la “laïcité plurielle” et la revendication du pluralisme scolaire.
La laïcité est un principe constitutionnel, on ne peut la cantonner à gérer exclusivement des questions de société, dont la place de l’islam dans l’espace public, et nier les questions institutionnelles posées par le financement public de réseaux scolaires confessionnels.
Le dogme contre la liberté de conscience, former pour conformer
Au nom d’une dénaturation du principe de la laïcité, certaines organisations revendiquent la prééminence de l’appartenance religieuse sur les principes de citoyenneté et de liberté de conscience des jeunes. Au nom de leur logique communautaire, ils se sont évertués à réécrire la charte officielle de la laïcité à l’Ecole du Ministère de l’Education nationale en y supprimant 12 fois le terme “laïcité” pour lui substituer 7 fois dans la “La charte de la laïcité expliquée aux enfants” les termes “religion” ou “religieux” ; le vocable laïcité est seulement maintenu, bien évidemment, dans le titre de la charte revue et les deux sous-titres. Il eût été difficile de les supprimer dans les intitulés ce document destiné à expliciter la laïcité.
Ne surfent-ils-pas sur l’approche consumériste de l’école enfermée, depuis 1984, dans une stratégie politique du “libre choix” revendiqué par les tenants de l’enseignement privé ? Depuis lors certains se sont évertués à faire silence sur les conséquences institutionnelles, économiques et sociales de la question du pluralisme scolaire financé par la puissance publique.
D’autres entretiennent un prétendu catastrophisme permanent, de l’école publique, instrumentalisé et revendiquent “la parité” des moyens de l’enseignement public et enseignement privé confessionnel et récusant la disparité des obligations au nom de leur “liberté d’enseignement”. Une dérive aujourd’hui avérée et caractérisée, qui de fait, s’organise autour d’une alliance des libéraux avec les tenants d’une politique scolaire concordataire, et s’accompagne d’un retour vers les temps anciens de la mainmise de l’Église sur le corps social pour l’élargir demain à d’autres communautés religieuses ou non. Peut-on dénoncer les dangers du communautarisme en occultant sa légitimation institutionnelle dans le champ scolaire ? Ces anachroniques velléités se manifestent de nos jours, avec un enseignement confessionnel à nouveau reconnu, près d’un siècle et demi après, comme un “service public”, qui ignore et bafoue la laïcité de l’État. Prétendre “faire partie du service public”, sans la laïcité, procède en effet, à tout le moins, d’une vision cléricale qui méprise la liberté de conscience de citoyens en devenir autant que la neutralité de l’État, et préfigure une logique d’organisation de l’école et de la société, sur le mode communautariste.
La loi Debré, brèche dans la séparation des Eglises et de l’Etat,
l’Etat missionnaire de l’Eglise
La loi Debré de 1959 a institutionnalisé une première entorse consistant à faire admettre ce postulat : “À école publique ou privée, fonds publics.” Cette première dérive, déterminante, a permis à l’Église catholique, en dépit de la loi de séparation de 1905, de faire financer une visibilité sociale, par la concession de près de 20 % du système éducatif, et d’ainsi renouer avec un rôle politique officiellement perdu depuis 1905. La loi Debré présente une originalité singulière, celle d’offrir à quiconque, sans problème, la possibilité de l’interpréter à son profit. Le principal bénéficiaire de cette entorse juridique, est assurément pour l’heure l’Église, qui l’atteste cyniquement en petit comité : “La loi Debré est un texte qui a vécu. Il a été, en quelque sorte, réinterprété par la pratique sans qu’on en change pour autant la moindre virgule.” Une telle logique conduit l’État à entretenir, aujourd’hui, au moins, plusieurs réseaux, fatalement concurrentiels demain. Ainsi, l’Etat consacre le pluralisme institutionnel et idéologique où la logique privée libérale, machine de guerre lancée à l’assaut du service public, capte, sur fonds publics des parts de marché. Peut-on dès lors, occulter précisément cette question du pluralisme scolaire, qui fait de l’école un nouveau et précieux support pour la marchandisation et le prosélytisme subventionné ?
Dans Libération, le 28 décembre 2009, Bernard Toulemonde allait jusqu’à affirmer : “Je pense qu’on peut dire, honnêtement, que cette loi – Debré – est profondément républicaine”. Le même Bernard Toulemonde qui, auprès de Savary en 1981, fut chargé du dossier “Public-privé” et auprès de Jack Lang, lui-même, auteur d’un bon nombre d’entorses aux principes républicains. Aujourd’hui, Bernard Toulemonde dans son tout récent livre, de décembre 2016, “Et si on tuait le mammouth ?” – quel aveu ! – appelle à une désintégration de l’enseignement public en prenant modèle sur les établissements privés donnant ici des arguments à ceux qui promettent, demain, une saignée de la fonction publique, dont l’Ecole publique ne serait pas épargnée.
Ce développement d’un système pluriel d’enseignement financé par la puissance publique tend à aligner inévitablement, c’est le but recherché aujourd’hui, l’école publique sur le mode de gestion et de fonctionnement d’une école privée et catholique. Et ceci alors même que les termes de la concurrence sont faussés par le fait que cette dernière, bénéficie au nom de “sa liberté” de l’exonération des contraintes de service public, sans cahier des charges et avec des marges de manœuvre lui permettant de sélectionner une “clientèle” homogène , issue de familles socialement favorisées. Et de gagner au passage, après maintes sélections dissimulées, quelques places lucratives au palmarès des établissements les mieux prisés, confortant ainsi une image lisse et attractive de réussite éducative après avoir séparé “le bon grain de l’ivraie”. En effet, tout en dissimulant sa fonction originelle et missionnaire, l’école confessionnelle n’a l’espoir de prospérer aujourd’hui qu’en se posant en élément de comparaison et en posture de recours, vis-à-vis d’un enseignement public dénigré à dessein. Derrière l’alibi pédagogique et les réussites acquises sans risque, le triomphe de la compromission libérale de l’enseignement catholique et réciproquement, le triomphe de la compromission catholique des tenants de l’éducation libérale, imposent en l’absence de tout débat démocratique, un retour dans une ère éducative passée, étrangère aux valeurs républicaines, dans un silence complice et coupable, des responsables politiques.
Et l’enseignement sous contrat, très discret lors de ce quinquennat, pour conserver les privilèges obtenus précédemment, fort de cette complicité avec la droite libérale et renforcé par le silence à gauche, trouve, là, une chance inespérée de se développer bien au-delà de son caractère confessionnel, pourtant censé le justifier et qui, loin de faire florès, lui offre la possibilité de capter la clientèle produite par le dénigrement systématique du service public.
Qui peut encore croire, dans un tel contexte, que la question du pluralisme scolaire soit apaisée, obsolète, dépassée ? Aggravé par une escalade tout au long de ces trente dernières années, le pluralisme scolaire, vecteur décisif de cette privatisation rampante du service public d’éducation, est financé de façon croissante par l’ensemble des collectivités. L’organisation du communautarisme scolaire en réseaux confessionnels d’enseignement, financés par la puissance publique, incarne en retour cette “laïcité ouverte” aux religions reconnues par l’État, ouvrant ainsi une brèche dans la séparation institutionnelle des Églises et de l’État de la loi de 1905. Comme si cette dernière, socle de l’authentique laïcité républicaine, pouvait en quelque façon être qualifiée, par opposition, de “laïcité fermée”.
Cette mise à mort du service public et laïque d’éducation, sous les feux de ce nouveau cléricalisme, prélude-t-elle lors des prochaines échéances électorales ?
De la “laïcité plurielle” au pluralisme scolaire
Les bâtisseurs ont conçu notre école publique comme inséparable de la défense de la République, ses ennemis d’hier, libéraux et cléricaux, prennent aujourd’hui leur revanche, avec la consécration d’une école fondée sur des particularismes religieux, linguistiques ou autres, et sur un modèle de fonctionnement antérieur à la loi de séparation des Églises et de l’État. Le pluralisme scolaire financé par la puissance publique, loin de figurer ce débat “dépassé”, dont d’aucuns, complices ou inconscients, se gaussent aujourd’hui avec une coupable inconséquence, engendre désormais plusieurs menaces. Une menace d’abord, sur la cohésion de la nation. Ensuite, un risque de privatisation du service public par démantèlement de l’Éducation nationale. L’enseignement catholique dont on flatte abusivement la mission comme relevant d’un “service public”, alimente donc une stratégie libérale. L’enseignement privé sous contrat, par son mode de gestion, constitue le levier idéal vers une privatisation rampante. Cette menace déjà préoccupante, se double d’une seconde, qui plane non seulement sur la laïcité de l’école, mais également, sur celle de l’État lui-même. En effet, lorsque devient légale une telle concurrence, financée par l’État, contre ses écoles publiques, la nation ne peut plus s’identifier à son école laïque. L’enjeu de ce débat sur l’enseignement privé est le développement d’une conception libérale de l’enseignement, ouvrant la voie à l’établissement de la concurrence entre privé et public pour organiser l’école selon la loi du marché, gestion dans laquelle la considération religieuse n’est pas inexistante. Cette politique remet finalement en question, jusqu’à la définition même de la République française. Certes, la République n’est plus aussi directement exposée qu’elle a pu l’être en diverses occasions de son histoire, de ses débuts, à l’obscure parenthèse de Vichy. Cependant, en changeant ainsi radicalement la conception de son école, de ses finalités, de ses missions, et organisation, c’est l’âme même de cette “République laïque et sociale”, rétablie après-guerre, qui est altérée par le détournement actuel des principes d’égalité, de laïcité et de liberté de conscience.
L’omerta sur le pluralisme scolaire, financé par la puissance publique, ne fait que gangrener notre société, il la fractionne dangereusement en aggravant les discriminations et de surcroît engendre des surcoûts préjudiciables à l’ensemble de la population scolaire et à tous les citoyens qui financent cette aberration.
Accaparer des moyens publics
Une publication de la Fédération Nationale de la Libre Pensée transmise avec ses vœux pour 2017 dénonce près de 7.5 milliards d’euros détournés pour le financement de l’enseignement privé du premier et second degré dans le budget du ministère de l’Education nationale. Ce détournement n’est qu’une partie infime d’un financement public de plus en plus difficile à identifier.
Mais, il faudrait ajouter aux 7.5 milliards du budget de l’Education nationale, plus de 11.5 milliards de fonds publics et parapublics soit un total de subventions qui représentent plus 19 milliards d’euros par an. En effet, aux termes des lois de décentralisation de 1982 et 2004 relatives à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, ces collectivités locales ont hérité de nouvelles charges. Ainsi, en 2014, ces collectivités locales ont alimenté les caisses de l’enseignement privé pour 3,3 milliards d’euros. A cela il convient d’ajouter d’autres financements publics comme l’indique le document de 2016 “Repères et références statistiques” de l’Education nationale : 918 millions d’autres ministères et 416 millions d’administrations publiques diverses, soit un total de 1.43 milliards. Ce même document indique aussi les financements publics des entreprises par le biais pour la plus grosse part de la taxe d’apprentissage et de la formation continue du privé pour 4.2 milliards. Il y a aussi le financement par les ménages des établissements privés dont les 4 milliards peuvent être défiscalisés à hauteur de 66 % soit 2.64 milliards de réduction d’impôts possible.
Cette défiscalisation des dons a été organisée entre 2008 et 2011. La “Fondation pour l’école” a bénéficié, peu après sa création, le 18 mars 2008, d’un décret sa reconnaissance d’“Utilité publique”. De plus, la “Fondation pour l’école”, vient de se voir reconnaître par le ministère de l’Intérieur et de l’éducation nationale, le 4 août 2011, la capacité d’abriter des fondations en son sein. En devenant “fondation abritante”, à l’instar de la Fondation de France, la Fondation pour l’école devient une des rares fondations françaises capables de proposer aux grands bienfaiteurs (particuliers et entreprises) de créer une fondation sous égide dans le domaine de l’éducation. Par décret du 16 février 2010, Luc Châtel, quant à lui, consacrait la “Fondation Saint Matthieu”, nouvellement créée et officiellement liée à l’épiscopat et à l’enseignement catholique. L’extrait de la plaquette de présentation est explicite : “Les évêques de France, l’AEE Ile-de-France, et le secrétariat général de l’enseignement catholique ont décidé de créer la Fondation Saint Matthieu pour l’École Catholique. Cette initiative s’inscrit dans la continuité des efforts menés depuis toujours par les chrétiens pour répondre à l’urgence de l’éducation”.
Quel citoyen ne trouverait pas indécent de revendiquer la prise en charge, par la collectivité publique, de sa course en taxi au motif qu’il refuserait d’emprunter les transports en commun ? Quel citoyen oserait prétendre illégal le refus de financement public de son transport privé, pour la raison saugrenue, qu’il porterait atteinte à sa liberté fondamentale d’aller et venir ? C’est cependant le raisonnement fallacieux entretenu sans complexe, par ceux qui, abusivement, laissent entendre que leur “liberté d’enseignement” impose un subventionnement public. Etre enseigné à domicile ou dans un établissement hors contrat interdit tout subside public, et relève pourtant de la même “liberté d’enseignement”. Cette imposture autour d’un tel détournement politique de la notion de “liberté d’enseignement”, donne à l’éducation ce triste privilège, d’être le seul service public pour lequel l’État finance sa propre concurrence, au détriment de l’intérêt public, qui plus est au profit presque exclusif d’une religion. Avec ici, pour effet, destructeur du vivre ensemble, de démanteler l’école de la République.
Le pluralisme scolaire financé par la puissance publique n’est pas un débat “dépassé”. Il menace de privatisation du service public par démantèlement de l’Education nationale selon le principe des vases communicants. L’enseignement privé, aujourd’hui presque exclusivement catholique, et demain multiconfessionnel ou pluricommunautaire, prétend assurer abusivement “une mission de service public”. Il alimente ainsi, selon les circonstances et au gré des gouvernements, une stratégie libérale qui ne pourrait pas organiser, sans ces complicités qui visent la privatisation pure et simple du service public de l’éducation.
L’enseignement privé sous contrat, par son mode de gestion, constitue le sas idéal pour cette privatisation. L’enseignement privé sous contrat permet de capter les besoins scolaires et ainsi contourne l’obligation constitutionnelle d’organiser l’école publique dont l’Etat peut alors s’exonérer. Dans cette privatisation par substitution le privé doté de financements publics répond plus vite parce qu’il peut du fait de son statut privé et au nom de “sa liberté” se libérer des contraintes inhérentes à l’intérêt général et aux principes institutionnels afférents au service public : égalité devant l’accueil, gratuité, continuité et mutabilité. Ce n’est plus seulement le “caractère propre” qui le légitime mais une logique libérale assumée mais non identifiée comme telle.
Un enseignement catholique surdimensionné
Menace pour l’égalité des citoyens, lorsque l’Etat finance sa propre concurrence au profit d’établissements scolaires privés communautaristes, il porte atteinte à ses principes constitutionnels : “La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat.” De surcroît, il participe à financer les inégalités. En France cet enseignement privé alimenté presqu’exclusivement sur fonds publics est un facteur important de discrimination sociale. Ces éléments statistiques sont consultables sur le site de l’Education nationale dans l’édition 2016 de “Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche”. Les établissements privés scolarisent davantage d’élèves appartenant aux catégories sociales “favorisées” ou “très favorisées” avec une sous-représentation des élèves issus des catégories sociales “défavorisées”. Il y a plus de deux fois et demie de boursiers dans le public que dans le privé. Les publics favorisés en constante augmentation dans le privé, alors que les publics défavorisés sont en forte régression dans ce même secteur.
De plus, les établissements privés sont de plus petite taille, avec des effectifs réduits par classe. Ainsi, les lycées généraux et technologiques du public ont 29,7 lycéens par classe et le privé seulement 26,1. Une multitude de petits lycées professionnels privés soient 44,1 % ont moins de 100 élèves, et seulement 1.1 % dans le public. 84,1 % des lycées professionnels privés ont moins de 300 lycéens. Dans cette myriade de lycées privés à effectifs très réduits, 12.3 % des classes du second degré privé (2 % pour le public) ont moins de 14 élèves et 21,3 % (6,8 % pour le public) moins de 19 élèves. De fait, les lycées publics ont en moyenne 970 élèves et les privés seulement 400. Un nombre très important de lycées privés 41 % du total public privé pour seulement 22 % de la population scolaire. Cette photographie récente est pour le moins explicite.
Un lobby clérico-politico-économique
Menace sur la laïcité de l’école et de l’Etat lorsque la concurrence, financée par l’Etat, contre ses écoles publiques est légale, l’Etat ne peut plus s’identifier à son Ecole laïque. Cette prétention, que les écoles catholiques remplissent une “ mission de service public”, sans la laïcité, l’égalité relève d’une vision cléricale de la société. L’école catholique, qui, en plus, est en réseau, constitue ainsi un système institutionnel structurant autour de l’Eglise s’inscrit bien dans une logique communautaire de la société. Elle revendique cette obsession communautariste à peine dissimulée et instrumentalisée par le “libre choix des familles”. L’organisation du communautarisme scolaire en réseaux confessionnels d’enseignement, financés par la puissance publique, incarne cette forme de “laïcité plurielle”, “laïcité positive” et “laïcité ouverte” aux religions que l’Etat, en dérogation à la loi de séparation est intimé à reconnaître institutionnellement. Le pluralisme scolaire est donc bien une brèche dans la séparation institutionnelle des Eglises et de l’Etat de 1905.
Ce pluralisme scolaire, au profit presque exclusif d’établissements d’enseignement privés catholiques, demeure, jusqu’à ce jour, un instrument majeur de l’offensive néolibérale et néo cléricale. Ainsi, le silence entretenu sur cette question laisse une porte ouverte à l’emprise du marché dans l’éducation et à la communautarisation de l’espace scolaire. Certains, au nom du “libre choix” revendiquent de cultiver leur système élitiste financé par la puissance publique et vont même à considérer l’égalité comme une injustice.
Les DDEN et d’autres militent pour l’égalité en éducation, non celle des groupes ou des communautés mais celle des citoyens. Sinon, on introduit une différence des droits entre groupes. Ainsi, on dénature le concept de service public expression de l’égalité des citoyens et non des communautés. On ne cesse de nous asséner la laïcité ne pose aucun problème, le pluralisme scolaire est dépassé. Gambetta ne disait-il pas : “En éducation comme en politique, il y a deux erreurs à éviter dans notre jugement sur le catholicisme : l’une est de croire qu’entre l’Eglise et l’Etat laïque la lutte est sur le point de cesser ; l’autre, qu’elle va continuer dans les mêmes conditions.” Et Marceau Pivert (L’Eglise et l’Ecole, 2010 Demopolis) démontrait le lien entre l’ecclésial et le social à fins d’évangélisation de la société, et sa visée de perpétuation de la domination : “Toute Église tend à devenir une institution de classe, et par suite un instrument de classe, puisque, dès que la lutte des classes pénètre dans l’histoire, l’autorité spirituelle de l’Église est forcément utilisée par la classe dominante comme moyen de conservation et de coercition.”
L’enseignement privé catholique fait croire à l’opinion qu’il incarnerait l’alternative aux carences, en partie, présupposées de l’enseignement public. S’il est certes à regretter que dans son fonctionnement quotidien, l’enseignement public ne parvienne pas toujours à corriger les inégalités en dépit de l’idéal de sa mission, il faut bien comprendre en revanche, que les établissements privés contribuent, eux, à entretenir ces inégalités et même à les aggraver structurellement. L’enseignement catholique s’approprie et épouse sans décence l’essentiel des demandes individuelles du libéralisme éducatif pour faire financer sans scrupules sur fonds publics la concurrence scolaire. Ces stratégies individuelles du “libre choix” sont détournées, en réalité, vers l’adhésion à un projet confessionnel imposé abusivement. Dans une logique consumériste ne qualifient-on pas ces méthodes de “publicités mensongères” ?
L’école prétendue “libre” n’entend pas s’assumer hors du concours de l’Etat de plus en plus sollicité. Ce dernier sait pertinemment qu’au nom de la sacro-sainte “liberté”, il ne pourra juridiquement exiger en contrepartie toutes les missions et obligations assumées par le service public d’éducation. Ce remariage de l’Eglise et de l’Ecole ouvre une brèche dans la séparation des Eglises et de l’Etat.
La loi du 31 décembre 1959 qui régit “les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés”, avec l’adjectif “privés” au pluriel, qui s’accorde avec “établissements” et non “enseignement”, s’avère à l’usage, aujourd’hui un authentique “concordat scolaire” passé avec l’Eglise catholique. Les notions “d’école catholique” ou “d’enseignement catholique” ne figurent dans aucun texte législatif. Ces structures ne sont reconnues que par le droit canon de l’Eglise. Jusqu’en 2008, ce réseau fonctionnait sous tutelle d’une commission informelle de l’épiscopat encadrée par un évêque. Désormais, après l’adoption de nouveaux statuts en juin 2013, cette entité “enseignement catholique” est un service direct de la “Conférence épiscopale de France” institution suprême de l’Eglise catholique. Les établissements catholiques prétendus “libres” et “autonomes” sont en fait, muselés par un nombre impressionnant de structures privées, fortes de quelques milliers d’agents. À titre d’exemple, la seule direction diocésaine de Vendée emploie plus de 60 personnes qui, sans autre légitimité qu’ecclésiale, doublent les structures administratives académiques et régionales del’Education.
L’école catholique, ultime intervention sociale de l’Eglise
Ainsi, l’Eglise catholique, soutenue par les forces libérales, vise à déstructurer le service public d’éducation, et n’accepte toujours pas l’Ecole du peuple, ouverte à toutes et tous. Bien des catholiques contestent pourtant, cette “mission” d’une Eglise tournée vers le passé. Mais ils n’ont pas le soutien de leur Hiérarchie, complice de tous ceux qui, idéologiquement, combattent les institutions et les services publics. Ainsi, l’association Chrétiens pour une Église dégagée de l’école confessionnelle (CEDEC) s’interroge : “Les chrétiens ont-ils besoin d’un milieu scolaire protégé ? Où sont aujourd’hui 95 % des enfants d’immigrés, de chômeurs ? Où sont les boursiers et la plupart des enfants en grande difficulté intellectuelle ?” Le CEDEC milite également pour que la laïcité soit “de plus en plus un facteur essentiel de paix civile. Elle reste le meilleur moyen de lutter contre les intégrismes”. Les militants du CEDEC disent se sentir “humiliés quand l’Eglise catholique contribue, par le comportement des responsables de cette école confessionnelle, à appauvrir l’école publique – école de la Nation”. (Communiqué du 16 août 2010 du CEDEC.)
Seule l’intervention de la puissance publique, affranchie de toute tutelle, ecclésiale ou autre, sans distinction d’origine, sociale, culturelle ou autres convictions des élèves, peut garantir l’égalité de leurs chances. Il ne s’agit en aucun cas de dissoudre ni les identités ni les libertés fondamentales, mais de revendiquer d’abord la liberté de conscience. La nécessité s’impose de construire un cadre législatif seul à même de permettre l’épanouissement de toutes les diversités.
L’Ecole fait, aujourd’hui, en partie défaut. Elle manque à son devoir, d’œuvrer à l’éducation et à la formation de citoyens en devenir, maîtres de leur destin et capables d’autonomie de jugement en vue de leur émancipation.